DROIT ET EXERCICE ILLEGAL DE LA PRETRISE ET/OU DE LA MEDECINE
En introduction, il nous semblait important d’analyser les décisions judiciaires des dernières décennies relatives au respect de l’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme sur la liberté religieuse tant en droit européen qu’en droit français d’autant plus qu’un jugement récent de Lorient a fait l’objet d’un appel. Nous reviendrons sur l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes quand il sera rendu.
1) Le Droit européen confirme le principe de la liberté religieuse et de l’immunité canonique
En Europe, la liberté religieuse fait partie des droits les plus fondamentaux, rappelés dans plusieurs textes, à commencer par l’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les deux textes rédigés dans des termes similaires quand il s’agit de réaffirmer le principe de la liberté religieuse de chacun.
a- L’article 9 de la CEDH précise : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » (Rappel très fort du Principe de la liberté religieuse).
La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » (Les exceptions au Principe).
b- L’article 10 de la Charte européenne confirme dans les mêmes termes la liberté religieuse : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » (Toujours le Principe).
c- La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a jugé, à l’unanimité, le 19 février 2019, dans son arrêt de principe rendu dans l’affaire Tothpal et Szabo contre la Roumanie (requêtes numéros 28617/13 et 50919/13), qu’il y avait eu violation de l’article 9 (droit à la liberté de religion) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. L’affaire concernait deux condamnations pénales roumaines pour exercice illégal de la prêtrise : « Des mesures d’État favorisant un dirigeant d’une communauté religieuse divisée ou visant à contraindre la communauté à se placer sous une direction unique, constituent une atteinte à la liberté de religion. Dans une société démocratique, l’État n’a pas à prendre des mesures pour garantir que les communautés religieuses demeurent ou soient placées sous une autorité unique ».
Au-delà de la liberté religieuse réaffirmée, c’est le principe de l’immunité canonique qui est aussi confirmée à savoir que les affaires concernant la Religion ne peuvent pas être réglées par les Etats.
d- L’affaire française en date du 3 avril 2024 concernant le Tribunal judicaire de Lorient, qui a condamné, suite à des abus de droit et à une absence d‘impartialité, le Préfet émérite du Dicastère de Rome pour les évêques, à indemniser une religieuse à hauteur de 182.400 euros au titre du préjudice matériel, de 10.000 euros au titre du préjudice moral et de 10.000 euros au titre des frais de justice, a fait réagir l’Etat du Vatican sur l’immunité canonique. L’affaire n’est pas définitive : elle a été portée devant la Cour d’appel de Rennes. Nous y reviendrons.
2) Le Droit français reconnait l’exception des infractions pénales et l’imposition des mains
En Droit européen, le principe de la liberté religieuse comporte les exceptions précitées (article 9 alinéa 2 déjà cité) touchant aux infractions pénales. L’exercice illégal de la médecine est alors souvent invoqué quand il est le fait de telle ou telle religion. Même quand les prêtres ne sont pas en cause, cet exercice illégal fait couramment référence à des pratiques religieuses. Il en est de même en Droit français.
a- Depuis le 12 mai 2024, l’article 4161-5 du code français de la santé publique précise que :
« L'exercice illégal de la profession de médecin, (…) est puni de deux ans (une seule année avant le 12 mai 2024) d’emprisonnement et de 30.000 euros d'amende.
Lorsque l'infraction a été commise par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne ou par le biais d'un support numérique ou électronique, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende.
Les personnes physiques encourent également les peines complémentaires suivantes :
- L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée,
- La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit,
- L'interdiction définitive ou pour une durée de cinq ans au plus d'exercer une ou plusieurs professions régies par le présent code ou toute autre activité professionnelle ou sociale à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise (Les mormons pourraient être concernés s’ils étaient condamnés et leur liberté religieuse pourrait être affectée puisqu’il s’agit d’une exception précitée aux libertés en application de l’article 9 alinéa 2 sus-indiqué),
- L'interdiction d'exercer pour une durée de cinq ans l'activité de prestataire de formation professionnelle continue.
Le fait d'exercer l'une de ces activités malgré une décision judiciaire d'interdiction définitive ou temporaire est puni des mêmes peines ».
b- Début 2024, le tribunal de Nice a ainsi condamné une femme de confession musulmane à un an de prison avec sursis pour exercice illégal de la médecine après avoir pratiqué des soins alternatifs (« hijima » humide à savoir une incision de la peau sous ventouse) en vogue dans la communauté musulmane. En effet, en France, la frontière entre la pratique de la foi et l’exercice illégal de la médecine est parfois bien ambiguë. C’est la raison pour laquelle l’arrêt de la Cour de Cassation du 21 septembre 2004 a fixé les conditions de l’exercice illégal à savoir que ce délit est caractérisé par l’accomplissement (de 3 critères) :
- en dehors de tout diplôme,
- habituellement,
- d’actes propres à la médecine, à savoir « l'établissement d'un diagnostic ou le traitement de maladies ». La « démarche de diagnostic » est, quant à elle, définie par la précitée Cour de Cassation, depuis 2004, comme le fait « d’examiner des personnes et de déterminer l'organe malade à partir des symptômes décrits » et ceci « afin de mettre en œuvre un traitement ».
c- La pratique de l’imposition des mains :
Généralement, les pratiques précitées s’accompagnent de l’imposition des mains. En tant que telle, la pratique n’est pas interdite en France sauf si elle remplit les 3 critères précédents. Mais, il n’est pas rare que des prêtres fassent l’objet de poursuites pour la pratique, pour le moins habituelle, d’imposition des mains sur les malades.
d- Depuis 1957, la jurisprudence française distingue, à ce sujet, deux situations :
- En effet, les juges estiment qu’il est normal qu’un ministre du culte, se conformant aux principes de sa foi, recherche le soulagement des souffrances d’un malade en appelant, par ses ordonnances, ses prières, à une intervention divine. Dès lors que le Prêtre ne s’attribue pas personnellement un pouvoir propre de guérison, il ne peut pas être sanctionné. L’imposition des mains ne possède pas de caractère "thérapeutique"… dès lors qu’il s’agit d’un acte purement religieux appelant à l’intervention d’une puissance divine supérieure (Cour d’Appel de Paris du 28 janvier 1957).
- En revanche, dès lors que le détenteur de la Sainte-Prêtrise fait la démarche de diagnostiquer et de traiter, par l’imposition des mains, un malade, en lieu et place d’un médecin habilité, alors ce Prêtre peut être poursuivi (Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 18 décembre 1957).
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En conclusion, les Mormons Fondamentalistes Indépendants pourraient être concernés par ce respect de leur liberté religieuse et l’immunité canonique le jour où ils seraient mis en cause. Par contre, cette immunité canonique ne les protégerait pas contre des condamnations en cas d’infractions pénales (contraventions, délits et crimes) engageant des atteintes à l’ordre public. Ceci dit, l’administration des ordonnances, par imposition des mains, n’est pas un acte de médecine mais un acte spirituel de foi !
Frère Yves 31 mai 2024
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