Complément à l'histoire mouvementée des mormons francophones
Dans un précédent article intitulé : "Approche sur les Mormonismes Français"
http://info-mfi.wixsite.com/base-editoriale/single-post/2015/01/01/Approche-sur-les-Mormonismes-Français , J'avais évoqué un épisode peu connu de Mouvements Mormons Alternatifs créés dans les années 60. Cette période qui correspond à ma propre conversion a finalement été riche en histoire.
Le mouvement d'Alexandre Caffiaux créé en France en 1963 n'a pas donc été le seul (La Sainte Eglise de Jésus-Christ) et de récentes recherches me poussent à vous parler d'un autre de ces prophètes auto-proclamés : Michel Gamiette !
En 1966, cet Mormon fraîchement entré dans une branche de l'Eglise dans les Caraïbes a lui aussi fondé un Mouvement : "L'Ordre Uni des Saints des Derniers Jours de la Guadeloupe".
Son aventure a rapidement tourné court et a compté moins de membres que les doigts des deux mains, mais cette période a été étudiée par des chercheurs qui ont rendu leurs travaux publics.
Je cirerai donc intégralement ici pour information, un extrait de cet épisode rapportant les faits et son analyse par l'Auteur.
Religions et générations aux Caraïbes
Par Laennec Hurbon
Directeur de recherche au CNRS
Publié dans :
Sens-Dessous
2007/2 (N° 2)
· Pages : 96
· DOI : 10.3917/sdes.002.0044
· Éditeur : Edition de l'Association Paroles
Les nouveaux mouvements religieux aux Caraïbes :
Rupture et continuité entre générations
Le cas de « l’Ordre uni des saints des derniers jours de la Guadeloupe », secte dissidente des mormons, mérite de retenir l’attention, même si elle ne concernait qu’une quinzaine de personnes. En effet, en 1966, un certain Michel Gamiette devient Mormon et appartient à une branche de l’Église mormone nouvellement implantée en Guadeloupe. Mais, comme on refuse de le laisser accéder à la prêtrise, il décide en 1982 de créer sa propre Église avec son fils, Max Gamiette. Grâce à un « commandement divin », qu’il déclare avoir reçu directement, Michel Gamiette fonde ce qu’il appelle « une famille plurale » en vivant avec douze jeunes femmes (âgées entre vingt et trente ans). Mais l’une d’entre elles a, en 1984, soixante dix-huit ans et passe pour être une gadèdzafè, appellation en créole des personnes qui disent avoir reçu en « dons » le pouvoir de disposer de pouvoirs thérapeutiques et de connaissances en pratiques de magies défensives et offensives. Les femmes vivaient chacune dans leur propre appartement, mais se rencontraient régulièrement pour des travaux agricoles, pour des loisirs en commun (musique, danse, théâtre) et pour le culte, sous la direction de Michel Gamiette, prêtre et prophète, « envoyé de Dieu sur terre », père, époux et leader religieux à la fois.
L’histoire de cette petite communauté a mobilisé cependant toute la Guadeloupe (département français de la Caraïbe dont la population s’élève à environ quatre cent mille habitants), grâce à une importante publicité organisée autour de l’emprisonnement de Michel Gamiette dû à la dénonciation de l’une des jeunes femmes qui l’accusait de coups et blessures, d’extorsion de fonds et de subornation. Il n’y a aucun doute que nous sommes en présence d’un type de mouvement religieux qui rentre dans la catégorie des groupes sectaires dirigés par des gourous aux pouvoirs de séduction et de manipulation sans bornes sur les adeptes au profil psychologique vulnérable. Au-delà du scandale créé par la petite communauté, sous la direction du chef religieux, père et époux des treize femmes, nous aimerions souligner le rapport implicite qu’entretient cette secte avec la question de la génération.
En effet, on est frappé par la facilité avec laquelle des jeunes femmes, en général du niveau bac, et ayant déjà une spécialité comme laborantine, institutrice ou infirmière, ont pour la plupart reconnu être en rupture avec leur famille dans les déclarations qu’elles ont faites à l’inspecteur de police lors de l’arrestation de leur « prophète ».
La soumission absolue des jeunes femmes au chef, époux et prophète, est symptomatique de la situation de fragilité des institutions établies. L’une des adeptes avoue justement avoir circulé de religions en religions avant de trouver enfin « le prophète » : « J’ai un peu fréquenté les témoins de Jéhovah, les adventistes, les évangélistes, j’allais à la messe, mais je n’étais pas satisfaite ». Une autre soutient : « Depuis enfant, je me pose des questions sans réponse, j’ai lu des livres… J’allais à l’église tous les dimanches, mais j’ai choisi cette religion parce qu’elle me satisfait totalement. [12] Cf. l’entretien donné par les jeunes femmes du mouvement,... » La communauté avec le « prophète » représente une nouvelle famille spirituelle qui se donne clairement comme une famille patriarcale. Avec un leader religieux qui est en même temps père et époux, une autorité réelle est retrouvée et apparaît rassurante dans un monde qui vient de subir des transformations par trop rapides, avec la déruralisation accélérée, la nécessité de vivre en HLM dans des appartements qui conduisent à l’individualisme et à l’oubli de la famille élargie traditionnelle. Mais, ce qui donne à penser, dans ce mouvement religieux, c’est le rôle dévolu à la femme âgée de soixante dix-huit ans, Madame Lesuperbe, (gadèdzafê) : elle est appelée à authentifier auprès des autres femmes de la communauté la vocation de Michel Gamiette comme prophète. Retenons déjà que le recours à la gadèdzafè est le retour des croyances traditionnelles héritées de l’esclavage. Croyances qui paraissent fort bien rentrer dans une chaîne de signifiants avec autorité patriarcale, pratique de polygamie appelée « famille plurale », retour aux travaux agricoles, communauté de vie, sans que tout cela soit ressenti comme contradictoire avec l’attachement à la Bible. En ce qui concerne la doctrine mormone, tout se passe comme si l’essentiel était le témoignage personnel du « prophète », sa façon même d’être qui suscite l’adhésion des adeptes et qui fait passer au second plan tout élément doctrinal. On dirait ainsi que, vers les années soixante-dix, une génération nouvelle — en rupture avec les générations précédentes — apparaît en Guadeloupe et en Martinique, qui fait l’expérience d’une identité particulièrement menacée et qui, en cherchant de nouvelles assises culturelles, n’hésite pas à mettre ensemble les signifiants les plus hétérogènes.
Notes :
[12]
Cf. l’entretien donné par les jeunes femmes du mouvement, dans le magazine Afro-caribbéen tropic, n° 16, p. 41.
Source :