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Approfondissement spirituel versus Raisonnement intellectuel = spéculation ou intelligence ?

Toutes les pensées, qu’elles soient politiques, religieuses ou philosophiques, sont basées sur une idéologie, des fondements, parfois une règle plus ou moins évolutive. En matière de politique ou de philosophie, l’intense réflexion génère comme pour toutes les sciences humaines, des évolutions, des adaptations, des perfectionnements. La Science qui est par essence reliée à des règles physiques, chimiques ou même cosmiques semblerait plus stable. Cependant, les découvertes, les expérimentations, les recherches en général, nous amènent régulièrement à devoir évoluer et envisager par exemple, des interactions qui n’étaient pas jusqu’alors visibles.


La religion est communément considérée comme une pensée beaucoup plus figée. Ce n’est pas en soi une tare, car elle se rapporte à des considérations spirituelles impalpables. La divinité instruit des lois, des règles à suivre, un cheminement, une attitude précise et policée. Cependant beaucoup plus rigide que la philosophie, elle induit une doctrine, une procédure et une démarche. Certaines religions sont par essence immuables quand il est établi de façon irrévocable que toute tentative de réforme sera considérée comme une hérésie.

Toutefois, bien des confessions moins intransigeantes et qui font encore appel au libre arbitre, ont évolué vers des formats très différents de l’origine. Des cultes divers parfois eux-mêmes érigés en chapelles indépendantes ont vu le jour et se sont établis de façon volontaire.


L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (Mormons) n’échappe pas à la règle. Fondée sur des Révélations transmises par des êtres célestes. Elle apporte et éclaircit des doctrines et des écrits qui posent les fondements d’une pratique claire et non contestable. Cela n’a pas empêché certains de ses membres, de considérer que des dérives étaient apparues avec le temps, si bien que chaque faction se combat, se contredit ou même s’excommunie l’une, l’autre.


Il n’est donné à personne, ni chez les mormons, ni chez les autres confessions religieuses, d’avoir une vision parfaitement irréfutable et cela en raison des multitudes d’interprétations qui sont apparues au cours des temps. On remarque d’ailleurs que certaines écritures parfois se contredisent littéralement. Il est souvent difficile d’éclairer ces positions contraires par des considérations liées aux moments, aux peuples ou aux événements particuliers ; bien que parfois cela apporte une compréhension qui nous éloigne facilement des polémiques.


Alors pour comprendre s’invitent un peu d’histoire, un peu d’analyse ethnologique, des évènements dramatiques qui influencent le déroulement de la foi, des besoins d’adaptation aux problèmes nouveaux qui ont pu ne pas être encore traités et enfin le besoin viscéral pour l’homme de s’expliquer sa place et sa destinée.


S’il n’y avait qu’une seule interprétation possible, les choses seraient certes plus faciles, mais dans le fondement de la plupart des religions est introduit cette notion qui pousse l’homme à faire des efforts : c’est ce qu’on appelle la Foi !


Cette démarche nécessite inéluctablement des errements, une étude approfondie, une évolution personnelle et critique des autres pensées : c’est ce qu’on appelle l’Analyse !


Personne n’est à l’abri de ces deux considérations qui introduisent nécessairement dans la pratique de la foi, un soupçon d’intellectualisme. Non pas dans le sens où on accorderait la prédominance aux solutions intellectuelles au point de méconnaître les réalités – Certains chercheurs ont critiqué l’usage de la réflexion intellectuelle au sens péjoratif, notamment dans les discussions politiques – Mais dans le sens où le besoin de compréhension logique nécessite de « raisonner ».


La religion est généralement réticente à utiliser la logique, elle se refuse fondamentalement à raisonner. Le rite suit une règle et s’affranchit de toute discussion ou interprétation. Pourtant nombreuses sont celles qui ont permis l’introduction d’une parcelle de pensée humaine et souvent d’ailleurs, parce que les siècles introduisant une pratique complexifiée, ont favorisé les discussions sur la théologie elle-même.


Les Mormons à la foi justement portée par une théologie rajeunie, mais originale et, divisés par les questions de succession ou d’évolution des pratiques, sont touchés en plein cœur par ce phénomène. Là où on aurait pensé les choses étant clarifiées que le mouvement remplirait la terre sans difficulté, les mêmes problèmes les touchent et les morcellent.


Cette intransigeance concernant la réflexion intellectuelle est bien plus profonde qu’elle n’y paraît aux yeux de monde. L’Église est moderne, elle utilise des moyens modernes de gestion des biens et des hommes et se veut attentive aux vissicitudes et aux bruits de guerre qui touchent la planète. Elle discute avec les autres dénominations et affirme sa volonté de « permettre à tous les hommes d’adorer ce qu’ils veulent, où ils veulent, comment ils le veulent » (cf. Articles de foi).


Ce qu’elle autorise à l’extérieur est toutefois interdit à l’intérieur. Il y un dogme, immuable ou… seulement réformable par la Révélation moderne. Tout mouvement de côté est sévèrement bridé, alors même qu’elle considère que chacun est appelé à progresser en connaissance et en foi. La recherche intellectuelle n’a jamais affirmé un droit à établir de nouvelles bases pour supplanter le dogme, mais un « éclairement par la pensée » un apport d’intelligence !

L’Église a peur des dérives qui ont déjà tellement marqué sa jeune histoire, c’est une évidence. Il suffit d’interroger les innombrables membres qui ont quitté le mouvement après avoir lancé des tentatives de « recherches intellectuelles » individuelles ou de groupe.


Aux États-Unis où l’Église est implantée en profondeur depuis deux siècles, de tels groupes ont vu le jour et ont réussi à s’établir à l’intérieur sous une forme de « supports d’étude » ou à l’extérieur sous forme de mouvements indépendants. Malgré quelques rejets officiels*, des procès parfois, ils font maintenant partie du paysage. Toutefois en Europe et particulièrement en France, le phénomène a été bridé avec force.


Quelques exemples en montrent la particulière évidence :


A différentes époques, plusieurs concours ont été initiés par les magazines de l’Église en Français. Il s’agissait de s’exprimer en texte ou en créations artistiques sur des sujets inspirants ou des expériences, par des poésies, mais aussi des dessins ou illustrations. Il a même été proposé de soumettre de nouveaux cantiques.

Beaucoup de Saints Français ont participé à ces concours, mais n’ont été systématiquement retenus que ceux qui avaient produit une œuvre en lien direct avec les écritures ou des sujets ayant purement trait à l’Évangile. Aucune création originale, même conforme au canon n’a été acceptée. Aucune création intellectuelle !


Dans les années 1970 qui sont considérées comme un essor exceptionnel de l’Église en France. Les jeunes trouvaient au sein de la Société d’Amélioration Mutuelle (SAM) créée par Brigham Young, une occasion de s’amuser sainement, de monter même parfois des spectacles d’une rare qualité et de trouver directement au sein de l’Église les moyens et les lieux nécessaires à des occupations en marge du culte. La SAM fut démantelé et remplacée par des programmes essentiellement centrés sur la vie religieuse. Les activités récréatives n’en cessèrent pas pour autant, mais elles étaient dorénavant encadrées directement par la prêtrise.

Il est naturel de se poser la question : Quel était le risque envisagé dans la poursuite d’une organisation relativement indépendante au service de l’équilibre émotionnel des jeunes ?


A peu près à la même époque ont commencé à apparaître chez les Saints Français, des initiatives reconnues par les autorités comme purement intellectuelles et qui pourtant dans la grande majorité se référaient aux croyances de base.


Plusieurs études, notamment sur le Livre de Mormon et les évidences archéologiques virent le jour. On relève l’important travail de compilation de H. et G. Mourier, Saints Français qui ont assemblé une somme incroyable de documents sous le titre « Archéologie du Livre de Mormon » dans les années 80. L’ouvrage n’a pas franchi les environs de la paroisse d’origine. Il y a bien sur quelques exceptions qui ont trouvé grâce aux yeux des magazines de l’Église (l’Etoile), et malheureusement passées dans l’oubli, comme l’article de Jacques Goulard de la branche de Nice en 1956. Il avait pour titre : « Joseph Smith et l’archéologie » - Mais à l’époque on pouvait encore parler d’évidences archéologiques sans être taxé d’intellectualisme – ce qui n’a pas été le cas pour le livre publié par la maison d’édition Transtech de Bordeaux en 1987 (puis réédité en 1992) sous le titre « J’ai d’autres brebis », ou « Comparaisons entre les Civilisations Précolombiennes et les peuples Jarédites, Néphites et Lamanites », pour lequel Jean-Michel Bernos a consacré 15 années de travail. Des historiens Français célèbres comme Jacques Soustelle et Georges Duby ont apporté des suggestions de corrections, mais aussi des membres éminents de l’Église, comme Hélène Duriot, de la société Française d’Égyptologie.


Ces travaux ont été ignorés, voire déconseillés dans les paroisses du pays et n’ont trouvé audience qu’auprès des autres lecteurs lors des nombreuses conférences pour le présenter. Le livre J’ai d’autres brebis a finalement été distribué à 4000 exemplaires, sans aide, ni même soutien de l’Église, alors qu’il ne contenait que des documents et des études parfaitement en accord avec ses enseignements. Ces travaux auraient pu être des supports merveilleux pour introduire le Livre de Mormon. D’ailleurs, une collaboration très étroite avait été mise en place avec FARMS (Foundation for Ancient Research and Mormon Studies) de Provo Utah, qui éditait le magazine Insights et qui comptait dans ses rangs d’éminents chercheurs mormons, comme Richard L Anderson, Robert Cloward ou Brian Stubbs, tous dirigés par l’excellent professeur John L Sorenson. Heureusement et récemment un support indépendant de partage de textes de culture mormone a décidé aujourd’hui de le rendre accessible sous forme électronique (La feuille d’olivier).


Entre 1986 et 1988 furent aussi édités tous les trimestres, un magazine « La Lumière rétablie » - un excellent exemple de recherche et de vulgarisation publié par Gérard Tronche de Grenoble, qui avec Victor Martello administrait le Centre de Diffusion de la Connaissance. Le directeur de la publication déclarait en introduction :

« C’est celui qui écrit qui a la responsabilité de ses travaux théologiques et non l’Église de Jésus-Christ dont il est membre.

Nous avons accepté le livre de Mormon, la Bible (dans la mesure où elle est traduite correctement), les Doctrine & Alliances, la Perle de Grand Prix et toute révélation venant de Dieu par l’intermédiaire du Président et Prophète actuel de l’Église, et étant venue par l’intermédiaire de ses prédécesseurs, comme règle pour mesurer les doctrines de tous les hommes. »

Ces magazines qui comprenaient une cinquantaine de pages ronéotypées exposaient clairement les doctrines de base et des études de grande valeur, ne cherchant en aucun cas à concurrencer ou condamner l’Église qu’ils défendaient.

Ils furent distribués à quelques exemplaires pendant quelques années, sans jamais être reconnus comme importants ou nécessaires et ont disparus de la mémoire de l’histoire de l’Église en France.


Il existe certainement d’autres cas qui n’ont pas été portés à ma connaissance, parce que ce genre de réalisations ne figure pas dans les annales officielles. Je suis prêt à penser que d’autres cas isolés ont du se produire. Nous en entendront peut-être un jour parler par ceux là même qui en étaient à l’origine ou par ceux qui en ont eu connaissance. Cette richesse de la pensée se perd malheureusement dans un flux qui écrase ce qui n’est pas reconnu comme purement canonique.


Ce qui me semble important c’est qu’aujourd’hui, les moyens de communication ayant évolué et les membres ayant cheminé, grandi et compris, le monde soit enfin différent.


On en revient au sous titre de cette étude : Spéculation ou intelligence ?

Je laisse les lecteurs juger.


Frère Germain



Notes


* Extrait de la lettre envoyé au Professeur de l’Université Brigham Young, Eugène England le 19 février 1981 par Bruce R. Mc Conkie, alors Président du Conseil des Douze Apôtres.

Le Professeur England qui avait fondé plusieurs instituts de réflexions intellectuels mormons (dont l’Association for Mormon Letters), auteur de nombreux livres et directeur de l’ouvrage « Dialogue : A journal of Mormon Thought » et qui enseignait l’Anglais et la Littérature, avait adressé à l’Apôtre un mémoire concernant deux grands sujets sur la question de la progression des connaissances de Dieu et sur la doctrine d’Adam/Dieu.


La réponse est d’une extrême clarté :


« Maintenant, j’espère que vous allez réfléchir, prier et en venir à une compréhension de base des choses fondamentales et ce que jusqu'à ce que vous y parveniez sur tous les points. Puissiez-vous, rester silencieux sur ceux où il existe des différences entre vous et les Frères. C’est la voie de la sécurité. Je vous conseille de la poursuivre. Si vous ne le faites pas des périls vous attendent. Il n’est pas assez dit clairement et sans ambages aujourd’hui à chacun de nous ce qui devrait être fait. Je prends la liberté de vous parler de cette façon à cet instant, afin de devenir ainsi un témoin contre vous si vous n’acceptez pas le conseil ».

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